L’épidémie de Covid-19 touche tous les pays, et le département de Mayotte n’est pas épargné. Malgré un nombre encore relativement faible de contaminés et de morts, l’épidémie questionne les mesures et les moyens attribués à la région, dans un contexte où les inégalités sont plus que jamais exacerbées.
En 1841, Mayotte devient une colonie française. En 2011, après deux référendums (en 1974 puis en 2009), l’île devient le 101ème département français. Mais les eaux translucides ne dissimulent pas la réalité mahoraise. Trois ans après sa départementalisation, Mayotte bénéficie du statut de région ultrapériphérique (RUP) de l’Union Européenne, permettant d’obtenir des subventions, liées notamment à l’insularité des régions ultramarines et à leur éloignement de la métropole (environ 10 000 kilomètres pour Mayotte).
Un des départements les plus pauvres de France
L’enclavement de Mayotte induit une véritable dépendance à la métropole : l’île est sous-équipée dans tous les domaines, les problèmes d’accès aux ressources sont récurrents, et elle ne bénéficie d’aucune économie d’échelle, ce qui implique des importations importantes et une augmentation du coût de la vie : en 2015, l’écart de prix avec la Métropole s’élevait à 7% et jusqu’à 16,7% pour le panier alimentaire. En 2017, on comptait 256 000 habitants à Mayotte : le département a la croissance la plus forte de France (+3,8% par an en moyenne, sept fois plus élevé qu’en métropole) du fait notamment de la forte immigration comorienne (la moitié de la population est de nationalité étrangère) et du chiffre élevé de la natalité (4,7 enfants par femme, trois familles sur dix ont au moins quatre enfants) conduisant à une population très jeune (la moitié a moins de 18 ans), mais aussi à une densité de population très élevée (511 habitants par kilomètres carrés contre 113 en France métropolitaine). Avec 84% de la population sous le seuil des bas revenus (en moyenne, les salariés mahorais gagnent 789 euros), les quartiers d’habitation restent insalubres : quatre résidences sur dix sont en tôle, et trois sur dix sans eau courante. Le taux de chômage est également plus élevé à Mayotte : 35% contre 8% en moyenne en métropole. Le PIB par habitant mahorais est de 9220 euros quand les métropolitains touchent en moyenne 38 151 euros par habitant. Cette situation a des conséquences sur le développement de la population : en 2009, moins de la moitié des mahorais avait un réfrigérateur, et 30% un congélateur, un taux d’équipement insuffisant. Ces conséquences se retrouvent également au niveau de l’hygiène et de l’accès aux ressources : seules 37% des résidences principales ont accès à l’eau courante malgré un nombre d’abonnements croissant. Une partie minoritaire de la population mahoraise est affiliée au réseau de la Sécurité Sociale et possède une mutuelle.
Mayotte peut-il faire face au Covid-19 ?
Comment appliquer les gestes barrières exigés par les autorités dans ces conditions ? Sans eau, sans espace, sans moyens pour s’équiper, il semblait déjà difficile pour les mahorais de limiter la propagation du virus. Cette difficulté est encore amplifiée par les conditions médicales de l’île. Le nombre de patients atteints de maladies chroniques progressent depuis quelques années (majoritairement le diabète et l’obésité), et l’exposition au risque infectieux est plus forte qu’en métropole : depuis le début de l’année, 2 500 cas de dengue ont été recensés sur l’ile, une épidémie qui s’ajoute à celles du paludisme, du chikungunya et maintenant du coronavirus. Et du point de vue de la capacité d’accueil des hôpitaux, Mayotte est sous-dotée : elle ne compte qu’une seule réelle structure d’accueil hospitalière, divisée entre l’hôpital de Mamoudzou sur la côte est et 5 annexes; le Centre Hospitalier de Mayotte (CHM) joue un rôle central, mais ne compte que 16 lits pour une hospitalisation complète et la réanimation (4 fois moins de lits par habitants que la moyenne nationale). Ajoutez à cela une densité médicale insuffisante, bien que le secteur médico-social tende à se densifier : un manque de médecins (0,18 médecins pour 1 000 habitants, contre 2 en Métropole), une médecine libérale quasi inexistante (22 médecins libéraux pour 100 000 habitants, contre 196 en France métropolitaine).
En 2018, après 44 jours de grève, la ministre des Outre-Mer Annick Girardin avait annoncé un « plan d’action pour l’avenir de Mayotte », afin de « donner un nouveau souffle au développement du territoire » et contenant entre autres un plan d’investissement dans le secteur de la santé : un budget de 192 millions d’euros, dont 20 millions pour des travaux d’urgence et les 172 millions restants pour un nouveau centre hospitalier (livraison prévue en 2027). Environ 30 postes de médecins spécialistes ont été ajoutés, mais seulement un quart en a déjà été pourvu. L’Agence Régionale de Santé (ARS) mahoraise n’est entrée en service qu’au 1er janvier 2020. Un retard qui n’est pas sans conséquences dans la crise actuelle. Le 101ème département est encore classé en stade épidémique de niveau 2 : le premier cas a été détecté le 15 mars et les autorités ont comptabilisé 245 personnes contaminées, un chiffre en constante augmentation. Le Chef de l’Etat a instauré l’opération « Résilience », une opération militaire " entièrement consacrée à l'aide et au soutien aux populations, ainsi qu'à l'appui aux services publics pour faire face à l'épidémie » dans les régions ultramarines. Le Mistral et le Champlain, deux porte-hélicoptères amphibies, ont ainsi été réquisitionnés pour naviguer entre la Réunion et Mayotte et ravitailler les populations, en vue d’une "situation extrêmement tendue" selon les mots du président. Les questions sont aussi à poser dans la perspective d’un futur vaccin, la couverture vaccinale de l’ile restant très faible et l’accès aux soins problématique.
Un infirmer réunion, interrogé par la télévision locale Réunion la 1ère a constaté avec amertume : « Nous allons à la guerre mais avec des armes de 14-18 et avec des cartouches rouillées », si l’état de la Réunion est à déplorer, le pire est encore à prévoir pour Mayotte : le cocktail risque d’être explosif.
Pour aller plus loin : https://www.franceculture.fr/societe/covid-19-a-mayotte-le-plus-dur-est-toujours-a-venir
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