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Ils montent au front pour défendre l’Ukraine… et la Géorgie

Danaé Piazza

Ils sont des centaines, voire des milliers de Géorgiens à être partis se battre en Ukraine depuis le début de la guerre. Tous partagent les mêmes convictions: la solidarité avec les Ukrainiens pour des événements qui rappellent ceux de 2008 en Géorgie.



Des jambes interminables, des épaules carrées, des bras musclés. Vêtu de son treillis vert, David Katsarava a tout de l’allure du militaire. Pourtant, avant de rejoindre les rangs de l’armée ukrainienne le 2 mars 2022, ce Géorgien n’avait aucune expérience du combat. Mais David Katsarava s’était préparé à devoir un jour prendre les armes : “je savais que cela pouvait se répéter, j’entraînais les membres des forces spéciales, j’étais prêt”, explique-t-il.


L’invasion russe en Ukraine a réveillé en lui , et dans le coeur de nombreux Géorgiens, les souvenirs de la guerre entre la Russie et la Géorgie pour les régions séparatistes d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie, au nord du pays, en 2008. Le scénario a de nombreuses similarités: ces régions sont contestées depuis des années, les frontières reconnues par la communauté internationale remises en cause et dans les deux cas la Russie mène une opération militaire pour soutenir les velléités séparatistes.


Fondateur du mouvement “L’union fait la force”, David Katsarava patrouille à la limite des deux territoires contestés et sous influence russe. L’homme de 46 ans se décrit comme un “activiste”. Opposé à la politique expansionniste russe et grand défenseur du territoire géorgien, c’est ce qui l’a incité à partir sur le front en Ukraine. Il est parti un mois après le début de la guerre et y est resté jusqu’à la mi-mai.


David Katsarava a intégré la Légion internationale peu après le début de la guerre. Il a combattu en Ukraine pendant plus de deux mois.

Photo : Danaé PIAZZA


« Je savais que je devais y aller »


La décision était presque évidente pour lui. David Katsarava considère que l’Ukraine a toujours soutenu la Géorgie face à la Russie – une première fois en 1992 pendant la guerre civile, et en 2008 ensuite. “Je n’ai pas beaucoup réfléchi, je savais que je devais y aller, pour moi et pour tous les Géorgiens. Cette guerre est aussi la guerre de la Géorgie”, affirme-t-il. “Un devoir”, résume ce père de trois enfants.


David Katsarava est parti avec deux membres de son mouvement. Ils ont combattu à Kiev et sa banlieue au sein de la Légion internationale. Un moment encore difficile à évoquer pour lui, comme la vie sur le front. Le Géorgien élude la question : “on ne pensait pas vraiment aux conditions de vie : quand les soldats sentent le soutien de la population ukrainienne, ils ont une grande motivation pour combattre”.


Sur le front, il assure avoir été empoisonné au sarin, un gaz mortel, une des plus dangereuses armes chimiques. Le retour en Géorgie était nécessaire pour lui et d’autres compagnons après l’empoisonnement. Ils encouraient trop de risques : “même aujourd’hui nous ne sommes pas complètement rétablis, nous avons encore des problèmes de santé”.


Les effets de la guerre sont incurables, tant sur le plan physique que mental. “Vous ne pouvez pas vous rétablir complètement, la guerre reste en vous”, souligne David Katsarava. Les meurtres et les tortures qu’il a vus en Ukraine ne pourront jamais s’effacer de sa mémoire. “Nous étions chanceux d’avoir survécu, vraiment chanceux”, estime-t-il.


Néanmoins, la tristesse se lit dans ses yeux bleus. A Irpin (nord-ouest de Kiev), David Katsarava a perdu un des membres de son mouvement : David Ratiani. Ils avaient intégré ensemble la Légion internationale.


David Ratiani, “Dato” comme le surnomme Asmati Pakeliani, sa mère, n’est jamais revenu d’Ukraine. L’homme ne voulait pas “se cacher comme un lapin”. “Je savais qu’il allait partir, se souvient Ia Chachviachvili, son épouse, il m’a dit ‘je dois partir, il faut que tu me soutiennes’”.



La famille de David Ratiani a exposé ses médailles et son béret de militaire dans le salon de l’appartement. De gauche à droite : Ia Chachviachvili, son épouse, leur fils ainé Rati, Asmati Pakeliani, la mère de Dato, la fille cadette Mariam, et le benjamin Luka.

Photo : Danaé PIAZZA


Lui qui avait combattu en Ossétie du Sud en 2008 et en Afghanistan en 2015 a été bouleversé par les évènements de 2022. “Notre destin se décide en Ukraine”, a-t-il déclaré à sa mère avant de partir.


Dato a été tué le 18 mars alors qu’il tentait de sauver deux blessés. Il avait 52 ans. Ses médailles et son béret sont exposés à côté d’une bougie. Son portrait orne chaque mur de la maison, jusqu’à la grille du portail.


Les joues d’Asmati sont maculées de larmes alors qu’elle raconte l’histoire de son fils. “Grand et beau”, elle dépeint un père de famille “chaleureux”, “modeste”, “timide”, mais toujours prêt à aider les autres. Militaire artilleur, Dato a servi sous les drapeaux géorgiens pendant 27 ans.


Des héros des temps modernes


Lorsque Dato a été tué, ses compagnons n’ont pas eu le courage de l’annoncer à sa famille. Son épouse n’avait aucune nouvelle de son mari. Elle se rappelle son angoisse, les battements de son cœur, son refus d’imaginer le pire : “j’ai cherché sans jamais penser que c’était mon mari, je me disais qu’il était peut-être blessé”. C’est une annonce à la télévision qui lui a appris le décès de Dato.


Comme si toute cette histoire n’était qu’une mauvaise fiction, son épouse le compare à un “héros”. “David c’est le personnage d’un conte : il est venu et il a disparu. La vraie valeur pour lui, c’était la liberté”. Sa famille souhaite désormais lui rendre hommage, et demande une rue à son nom en Svanétie, une région dans le nord de la Géorgie.



Sur le portail de la maison, la famille Ratiani a accroché une photo de David pour honorer sa mémoire.

Photo : Danaé PIAZZA


Dons, cadeaux,… la famille de Dato n’oubliera jamais le soutien de la population locale à leur égard. “J’ai une très grande gratitude pour ces Géorgiens qui nous aident”, confie Ia. En revanche, Asmati et Ia en veulent au gouvernement, qualifié d’“indigne”. Si le Premier ministre a déclaré ses condoléances à la télévision, il n’est jamais venu les voir en personne.


Au moins nous avons eu le corps”, se console la mère de Dato. Mais la reconnaissance est maigre: le ministère de la Défense géorgien verse une aide de 22 laris à son épouse, soit 7,70 euros, dont elle ignore les règles. Mais Ia doit attendre d’être à la retraite pour avoir droit à la pension de son mari.


Elle a également entamé les démarches pour que Dato soit reconnu comme soldat mort au combat. « J’ai l’espoir que la vie de mon fils permette la victoire de l’Ukraine”, indique sa mère. Mais avec des positions ambigües à l’égard de la Russie, difficile d’imaginer le pouvoir actuel encourager ces distinctions.

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