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  • Danaé Piazza

Petit pays : retour aux sources

Dans son premier roman poignant aux allures autobiographiques, Gaël Faye conte l’enfance au Burundi d’un homme en quête de ses racines.


© Grasset, couverture du roman Petit Pays, Gaël Faye, 2016



« Je ne sais vraiment pas comment cette histoire a commencé » : dès le début du récit, le ton est donné. On ne sait pas encore si le narrateur parle de sa propre histoire ou de l’histoire réelle, celle avec un grand H, l’Histoire qui le conduira à l’exil quelques années plus tard, qui l’obligera à quitter son petit pays pour une terre inconnue, un ailleurs qu’il ne parvient pas à s’approprier : « Je n’habite plus nulle part. Habiter signifie se fondre charnellement dans la topographie d’un lieu […]. Ici rien de tout ça. Je ne fais que passer ». Gaël Faye définit avec une grande justesse le terme « habiter », dans son sens le plus géographique. En France, le personnage n’habite pas, il vague, vogue, échoue ; il ne vit plus, il observe, et encore : c’est de cette manière que Gaby ouvre son récit, en nous racontant son présent. Un présent parsemé des souvenirs, heurté par une enfance perdue dans la guerre et l’exil, des « fantômes et un tas de ruines » d’un « pays maudit ». « Pas un jour sans que le pays ne se rappelle à moi » : le Burundi s’impose, ou plutôt la cicatrice qui ne s’est pas refermée depuis le jour ou Gaby est monté dans l’avion.


Entre souvenirs et blessures

L’écriture est une catharsis : nous ne savons pas grand-chose de ce qui se passe après que le narrateur arrive en France, tout ce qui nous intéresse c’est cet avant. Peut-être que pour mieux l’éloigner, il faut « réveiller le souvenir de l’enfance ».

Nous sommes en 1993, et le narrateur, Gabriel, a une dizaine d’année. Il est métis : sa mère est rwandaise, réfugiée au Burundi après avoir fui son pays, son père est français, entrepreneur expatrié. Il a une petite sœur Ana. Ils vivent à Bujumbura, ancienne capitale du Burundi. Il s’appelle Gabriel, mais préfère qu’on l’appelle Gaby : ce nom, même si ce n’est qu’un diminutif, il l’a choisi. C’est peut-être pour cela que le départ est si dur à accepter : parce qu’il n’est pas choisi, mais contraint.

Sortons des clichés, le personnage n’est pas un petit garçon malheureux : il mange à sa faim, rit, reçoit des cadeaux. Son enfance est heureuse, insouciante, jusqu’à ce jour marqué par la séparation de ses parents où tout vacille, comme un avant-gout du cataclysme qui l’attend. La voix du narrateur est claire, consciente, d’une redoutable perspicacité pour son âge. Toutefois, Gaby se détache du réel : il essaie le plus possible de l’esquiver, de rester en dehors du bouleversement politique de son pays, de la guerre civile qui pointe. Mais le réel finit toujours par nous rattraper : les meurtres, les lynchages, les gangs de rue, l’indifférence, la peur, la perte, la tristesse, la folie. Son monde s’écroule peu à peu.

Le roman n’est pas à proprement parler autobiographique, mais inspiré de la vie de l’auteur : aujourd’hui auteur-compositeur-interprète (son dernier EP Des fleurs est sorti en 2018), Gaël Faye a dû quitter Bujumbura et le Burundi pour la France avec le début de la guerre civile en 1993 et le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994.


Colonialisme, racisme, et guerre civile

La guerre civile au Burundi éclate quelques temps plus tard, suivie de près par le génocide des Tutsis au Rwanda. Comme une gradation, on voit apparaitre les signes de la déliquescence des évènements. Dès les premières pages, le colonialisme s’immisce dans le récit, par son héritage. Le racisme ambiant, l’indifférence face à la diversité du continent africain qui se retrouve même chez le père du narrateur. L’idéologie ethnique s’installe ensuite et constitue la clé de voute du récit : les différences, les conflits et la guerre. La guerre civile commence avec le coup d’Etat militaire qui entraine la mort du président burundais Melchior Ndadaye fraichement élu. Un air de musique classique, et c’en est fini de l’espoir démocratique. Bientôt, la « guerre ethnique » arrive : les distinctions physiques caractéristiques des deux ethnies se propagent (dans la voix du narrateur cela devient même absurde), la haine se faufile, s’implante, gangrène la population. Les Hutus rwandais s’acharnent sur les Tutsis, les Tutsis burundais s’attaquent aux Hutus. C’est la paix de toute une région qui est détruite, la guerre s’étend au-delà des frontières. Un continent dévasté.

Dans cette atmosphère, les rues prennent l’odeur du sang. L’écriture fluide de Gaël Faye nous aspire dans ce récit tourmenté, troublant. Gaby nous emporte, littéralement. Gaël Faye n’a pas le temps d’attendre : le narrateur a besoin de s’extraire, d’extérioriser sa douleur, sa réminiscence.

Une œuvre d’une beauté bouleversante.


Petit pays de Gaël Faye, Editions Grasset, 2016 : https://www.grasset.fr/livres/petit-pays-remev-9782246857334

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