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Danaé Piazza

Les concours de beauté ont-ils fait leur temps ?

En 1970, la première Miss Monde noire était élue. 50 ans après, les quatre plus grands concours de beauté du monde, à savoir Miss Univers, Miss Monde, Miss USA, et Miss Teen USA ont été remportés en 2020 par des femmes noires permettant de se détacher des modèles de beauté occidentaux. Toutefois, si en apparence les choses semblent avoir bougées dans l’univers des concours de beauté, il est intéressant de chercher à comprendre pourquoi les concours de beauté soulèvent autant de réactions en 2021 qu’en 1970.


Crédits : Service communication ville d'Alès - Alès Agglomération



Même la Covid ne pouvait pas l’arrêter. Tradition depuis sa création en 1920 (année qui a vu l’élection de la première reine de beauté Agnès Soret), Miss France fêtait en décembre dernier son centième anniversaire avec le sacre de la normande Amandine Petit. Et chaque année l’évènement suscite les mêmes critiques de la part des féministes et des associations. Paradoxe : le programme rassemble encore une grande partie des Français devant leurs écrans (où parmi eux beaucoup s’en donnent à cœur joie pour ironiser sur les performances des candidates). Pourtant les concours de beauté apparaissent de plus en plus comme un moyen pour les candidates (et les petites filles) de s’émanciper et de reprendre confiance en elles. Les Miss France sont d’ailleurs les premières à en faire l’apologie, en s’engageant contre les violences sexuelles et le harcèlement de rue, ou en prônant un body positivism et un self love censés encourager l’estime de soi. L’occasion de s’intéresser d’un peu plus près à ces concours à la fois décriés par certains et adorés par d’autres.



Rétrospective

La genèse de cet article est à puiser dans le film britannique Miss Révolution (Misbehaviour en anglais). Sorti dans les salles en 2020, cette comédie dramatique de Philippa Lowthorpe interroge par le prisme du concours Miss Monde 1970 les luttes féministes et leurs rapports aux concours de beauté. En tête d’affiche du long métrage, Keira Knightley dans la peau de Sally Alexander, une militante féministe étudiante en histoire, et Gugu Mbatha-Raw pour incarner Jennifer Hosten, première Miss Monde noire. Le film puise ainsi son décor dans la vingtième élection du concours Miss Monde qui a sans aucun doute marqué un tournant (nous laissons à chacun le soin de déterminer à quel point) dans l’univers des concours de beauté mais également dans celui des mouvements féministes. L’évènement, qui se déroule le 20 novembre 1970, est bouleversé par de multiples coups de théâtre dont l’acmé est révélée par l’affiche même du film. Si vous voulez éviter les spoilers, passez directement au paragraphe suivant puisqu’une grande partie de l’intrigue va être livrée dans les lignes suivantes.


Crédits : « Misbehaviour » (2020) / Pathé



Miss Monde 1970 se déploie en parallèle de l’émergence sur la scène publique, ou plutôt de la médiatisation, du mouvement féministe international du Women’s Lib (abréviation de Women's Liberation Movement et équivalent en français du MLF ou Mouvement de Libération des Femmes). De fait, c’est autour des années 1970 que s’enracine le combat féministe, symbolisé par l’émergence de revendications plus profondes comme le droit à la contraception et à la pilule (légale en France en 1967 par exemple), ou encore le droit à l’IVG (légalisé en 1967 au Royaume-Uni - excepté en Irlande du Nord - et en 1974 en France). Les concours de beauté sont alors jugés comme « ringards et sexistes » par les féministes qui y voient une soumission et une objectification des femmes réduites à leur physique, ce qui est particulièrement visible dans le film à travers la scène où les finalistes doivent se tourner dos au public en maillot de bain afin que tous puissent juger leur postérieur (le glamour des concours de beauté direz-vous). Comme aujourd’hui, Miss Monde est dénoncé comme étant l’instrument du patriarcat et de la domination masculine.

Ce qui conduit inévitablement à sa politisation. Si le film met en lumière la médiatisation du mouvement féministe et du militantisme de ces femmes de tous bords et de tous horizons, il met aussi l’accent sur l’aspect plus géopolitique d’un tel concours dans lequel les pays trouvent un intérêt stratégique et politique, comme dans le cas de la Grenade qui fait sa première entrée à Miss Monde. Mais cette politisation apparait également à travers la question de l’apartheid en Afrique du Sud et de la représentation des femmes de couleur puisque le concours couronne pour la première fois non pas une, mais deux femmes noires : la grenadine Jennifer Hosten, élue Miss World 1970, est secondée par sa première dauphine Pearl Jansen, Miss Sud de l’Afrique ou autrement dit la candidate noire pour l’Afrique du Sud.

Sans être réellement un boulet de canon dans le monde cinématographique, Miss Révolution pose de nombreuses questions auxquelles 50 ans plus tard nous n’avons toujours pas trouvé de réponse. Il soulève subtilement tous les points que les pro-concours de beauté et les contre tentent chacun de démontrer pour appuyer leur argumentaire : vecteur du patriarcat pour les féministes, il est encore aujourd’hui un moyen d’empowerment pour des jeunes femmes en quête de perspectives. Le film met en exergue l’ambivalence que représentent les concours de beauté et tous les enjeux qui gravitent autour. Alors dans le fond, qu’est-ce qui a vraiment changé entre 1970 et 2020 ?


Crédits : « Misbehaviour » (2020) / Pathé




Miss, le kitsch à l’état pur ?


Encore plus aujourd’hui, les concours de Miss sont souvent regardés d’un œil un peu moqueur, quand ils ne sont pas vilipendés pour leur fond et pour leur forme. Miss France par exemple suscite chaque année de vives polémiques. Pour l’association « Osez le féminisme », le concours national est un évènement « ringard en cela qu’il considère encore les femmes comme des potiches, qui ne doivent surtout pas déborder du cadre défini ». A terme le concours peut produire une universalisation des corps des femmes avec en filigrane le message suivant « pour réussir, il faut être belle, mince, grande, etc. » selon les mots de la journaliste Raphaëlle Peltier. C’est cela qui peut conduire à faire des concours de beauté « une machine à complexes » comme le dénonce Céline Piques, porte-parole de l’association. Il faut dire que les concours de beauté reposent effectivement sur un socle sexiste qui pérennise la domination masculine : comme l’explique la militante Fatima Benomar de « Osez le féminisme », les concours de beauté sont des évènements qui valorisent avant tout des critères physiques et mettent en avant une certaine image de la femme, représentation notamment de la femme « modèle », de la femme (à entendre également dans le sens d’épouse) idéale, et ce même si leurs règles strictes sont aujourd’hui réactualisées pour mieux coller avec l’idée d’une « femme moderne » et s’extraire des critiques féministes. Ce sont toutes ces raisons qui conduisent nombre de militantes à demander l’abolition des concours de beauté.

La polémique autour de l’éviction d’Anaëlle Guimbi, candidate déchue à Miss Guadeloupe, en août dernier n’aura pas aidé à redorer l’image du concours. Dans le cadre d’une campagne pour le dépistage du cancer du sein, Anaëlle Guimbi avait réalisée des photos de bodypainting où sa poitrine dénudée était recouverte de peinture et de motifs floraux. Selon le règlement du Comité Miss France, les candidates ne doivent « pas avoir participé à des séances photos […] susceptibles de permettre une exploitation auprès du public d’images représentant la candidate sans sous-vêtements et/ou […] avec des vêtements laissant intentionnellement apparaître des parties intimes et/ou dans un contexte à caractère érotique et/ou pornographique ». Une sanction injuste que beaucoup n’ont pas hésité à souligner, aussi bien dans les journaux que dans la communauté des Miss.


Crédits : Instagram Anaëlle Guimbi https://www.instagram.com/p/CEIgUbwHojm/



A l’international, un des faits marquants a été la disqualification de l’ambassadrice ukrainienne Veronika Didusenko en 2018 pour avoir été mariée (et divorcée) et pour être maman d’un petit garçon. Alors que le comité de Miss Ukraine lui avait retiré sa couronne quelques heures après son sacre, ce fut ensuite au tour du comité de Miss Monde de la juger inapte à concourir pour les mêmes raisons. Geste symbolique, la jeune femme a décidé en 2019 d’attaquer l’organisation Miss Monde en justice pour discrimination.

Toutefois, on ne pourra nier le succès de Miss France, même en 2020 (et 2021 ?). Selon les chiffres rapportés par le journal « Le Monde », les spots publicitaires diffusés pendant les élections entre 2005 et 2010 aurait engrangé 23,7 millions d’euros de chiffres d’affaire. Le concours arrive à la deuxième place des émissions les plus regardées juste après « Les Enfoirés ». Pour l’élection de Miss France 2021, TF1 aurait cumulé jusqu’à 10,4 millions de téléspectateurs (plus que les 8,3 millions au moment du sacre en 2019) pour une part d’audience de 41,5%. L’élection de 2020 a ainsi réalisé la meilleure audience pour la chaine depuis 2006.




Faire rimer Miss et féminisme


Business florissant, les concours de beauté ont dû se réinventer. Plus question de se laisser marcher sur les pieds, aujourd’hui même les miss sont féministes : à la question maintenant rituelle pour les Miss France « peut-on être Miss et féministe ? », les reines de beauté tentent (avec plus ou moins de succès) de justifier leur choix. Cependant, les concours de beauté peuvent s’avérer être de véritables moyens d’émancipation et d’empowermentpour les femmes. En s’appropriant un concours qui se faisant l’apanage de ces messieurs, les Miss ont compris qu’elles pouvaient se délivrer d’un système tout en s’en servant. Comme le remarque Raphaëlle Pelletier, les Miss « jouent avec un stéréotype pour en tirer quelque chose de positif ».

En 2018 par exemple, l’élection de Miss Pérou se transformait en tribune pour dénoncer les violences sexistes et misogynes : le moment des mensurations avait été remplacé par un morbide décompte des femmes et filles violées, enlevées ou assassinées dans un continent d’une grande insécurité pour ces dernières. Dans une optique similaire, les concours de beauté permettent à certaine de se réapproprier leur corps et leur image après une agression ou un traumatisme, comme en témoigne Malika Ménard, victime d’abus sexuel par le fils de sa nourrice lorsqu’elle était enfant. Rejouer la femme dans les attributs qui la définissent, s’entendre dire que l’on est belle et désirable aux yeux du grand public et se sentir adulée telle une princesse peut apparaitre pour certaines comme un processus cathartique vers une renaissance de leur identité, de leur féminité (en considérant également toute la subjectivité et l’ambiguïté de cette notion) et de leur devenir en tant que femme.


Crédits : Instagram Angela Ponce https://www.instagram.com/p/BrnQhKmH8sB/


En témoigne le sacre en 2018 d’Angela Ponce, candidate espagnole à Miss Univers et première candidate transgenre à participer au concours (ouvert aux personnes transgenres depuis 2012). Cette participation « historique », Angela Ponce l’a dédiée à « ceux qui n’ont pas de visibilité, qui n’ont pas de voix » pour « un monde de respect, d’inclusion et de liberté ». Et à ceux qui jugeraient son message utopique, sachez que les personnes transgenres font face à des agressions croissantes et de plus en plus violentes : en 2019, selon un rapport du Ministère de l’Intérieur publié début 2020, les actes transphobes et homophobes ont augmenté de 36%.

De fait, devenir Miss permet aujourd’hui de mettre sous les feux des projecteurs les minorités et de renverser les canons de beauté établis pour une représentation plus inclusive dans les concours de beauté mais aussi de manière générale. L’élection de la sud-africaine Zozibini Tunzi en tant que Miss Univers 2019 en a été la preuve. Sur la scène, la jeune femme de 27 ans a tenu un discours puissant pour toutes les filles. Si elle « [a] grandi dans un monde où une femme […], avec [son] type de peau et [son] type de cheveux, n’a jamais été considérée comme étant belle », elle dédie sa victoire à toutes les petites noires qui peuvent aujourd’hui se retrouver en elle et s’accepter peut-être un peu plus dans une société où le stéréotype de la beauté reste la femme occidentale (ou occidentalisée) à la peau diaphane et aux cheveux longs et lisses. Vous vous rappelerez sans doute la vidéo de Verlonda Jackson : cette maman afro-américaine avait filmé la discussion entre sa fille Ava et le père de la petite en train de la coiffer. Les mots d’Ava sont éloquents : commençant par un simple « je n’aime pas mes cheveux frisés », elle avoue ensuite « je n’aime pas être Ava », et de continuer « je veux être Carole » car « elle a les cheveux lisses ».


Crédits : Instagram Zozibini Tunzi https://www.instagram.com/p/B6ax03kgoi7/


Lors de la cérémonie, Zozibini Tunzi a dû répondre à la question suivante : « Quelle est la chose la plus importante que nous devrions enseigner aux filles aujourd’hui ? ». Sa réponse en a étonné plus d’un : le leadership. Ou plutôt « avoir une position de leader ». Et de continuer : « C’est cela, que nous devrions enseigner à ces jeunes filles : à prendre de la place. Rien n’est aussi important que de prendre de la place dans la société et de s’imposer ». A travers le sacre de Zozibini Tunzi, il est intéressant de voir comment celle-ci permet de borner un espace afin d’insuffler une dynamique encourageant la présence des femmes et des filles dans l’espace public et dans les médias. Comment elle use des codes de la féminité pour les maitriser et (re)prendre une position dans l’espace public qui est souvent un espace masculin. Et même en tant que Miss, ou justement parce qu’elle est Miss, elle n’a pas peur de le clamer : « Prenez davantage la parole, utilisez votre voix ». Ou comment subvertir un évènement dont l’essence même était de silencier les femmes.




Des concours de beauté pour célébrer toutes les beautés


Miss France soulève toujours plus de critiques et de réticences, mais les concours de beauté ont bel et bien la côte. Nombreux sont ceux qui reprennent les codes du concours national pour mieux s’en éloigner : Ambassadrice France, Miss Ronde, Miss Curvy, Miss Small Beauty, Miss Plastique France (pour les femmes ayant eu recours à la chirurgie esthétique), ou encore Miss SDF en Belgique. Dépasser les limites de la condition féminine et revaloriser tous les types de beauté et l’être humain en lui-même, quelles que soient ses conditions physiques, ethniques, ou sociales, tel est l’enjeu de ces concours.

Dans une optique d’inclusion, les concours locaux mettent en valeur l’acceptation de soi, de son corps et de la beauté intérieure. Par exemple, Elsa Schwebel, présidente du concours Ambassadrice France a confié au Monde que l’élément primordial est « ce que dégage une fille, sa façon d’être, sa sincérité, son allure ». Comme nous l’évoquions quelques lignes plus haut, le concours de beauté peut se révéler être un moment de prise d’assurance pour pouvoir renouer avec son corps : toujours pour Le Monde, Jessica Carnaud, bénévole à Miss Curvy, affirme que cela aide les candidates « à s’accepter physiquement », quand pour Thierry Frézard, président de de Miss Ronde, c’est un parcours qui « les aide à se sentir mieux dans leur tête ».

Si ce genre de concours foisonnent, c’est bien pour se poser en antithèse de Miss France, non pas dans la forme mais dans le fond. Camille Couvry, chercheuse en sociologie et spécialiste des pratiques esthétiques, livrait son analyse au Monde : pour elle ces évènements provinciaux sont l’expression d’une « remise en cause d’un modèle hégémonique » en instaurant des espaces qui « valoris[ent] certains types de beauté, sans la moindre discrimination » et redéfinissent la beauté.




La beauté : un objet politique


Le corps devient alors un instrument politique en tant qu’il permet une « [réhabilitation] [de] certaines populations ou certains attributs physiques » ainsi qu’une « reconnaissance » qui se traduit par « la valeur corporelle de l’individu », comme le décrit Camille Couvry. Parfois, ce n’est plus seulement le corps qui est politique, mais la beauté elle-même lorsque celle-ci devient un enjeu stratégique pour le pouvoir.


Crédits : Instagram Keysi Sayago https://www.instagram.com/p/Bsd0OZdHuqy/

En Amérique Latine par exemple, les concours de beauté représentent une opportunité d’émancipation incroyable pour les jeunes filles et leur famille : très jeunes, elles apprennent à concourir pour gagner leur place dans les plus grandes élections ; et les miss jouissent d’une très grande popularité auprès de l’opinion publique dans le sous-continent. En tant que dirigeant politique, avoir dans votre pays la plus belle femme du monde peut être un véritable atout. Elles peuvent alors se transformer en jouet entre les mains des gouvernants. Selon Fabián Sanabria dans les colonnes de Libération, les miss en Amérique Latine « occupent un rôle de première dame de substitution » où elles servent à construire une vitrine morale à l’élu. Néanmoins, certaines tentent une reconversion plus concrète dans la politique. C’est ce qu’a fait Keysi Sayago, Miss Venezuela 2017, en s’opposant publiquement au président Nicolás Maduro et à sa politique de répression contre le peuple vénézuélien. Avant elle, Pilín León, Miss Venezuela et Miss Monde 1981, avait déjà tenté l’expérience et s’était retrouvée, non sans risques, sur la ligne de front de la résistance pendant la grève contre Hugo Chávez en 2002. Un peu plus au sud, en Colombie, Vanessa Mendoza élue en 2001 et première miss noire du pays, s’affirme comme « leader afro-colombienne » et travaille sur les questions ethniques avec le maire de la ville de Cali.

Pour d’autres pays, les concours de beauté internationaux symbolisent une ouverture sur le monde occidental et tous les avantages qui l’accompagnent. Cela a été le cas par exemple de l’Inde qui a accueilli la cérémonie de Miss Monde pour la première fois en 1991, et ce, malgré la résistance des fondamentalistes hindous. Pour le Nigéria, Miss Monde représente la modernité, un idéal contraire à la pensée musulmane radicale, à tel point que le concours « Miss Musulmane » a été créé en 2011 en Indonésie et ouvert à tous les pays musulmans dans le monde en 2013.


La démultiplication des concours de beauté met à jour leur caractère politique et la forte résonance sociale qu’ils peuvent prendre. Et si beaucoup espèrent voir leur fin arriver un jour, tout laisse à penser que les concours de beauté ont encore de beaux jours devant eux.

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